***Article(s) en date du 14.2.10***

Défendre l'indéfendable

Fidèle lecteur, jolie lectrice, tu vas encore dire que je radote ou que je commence à te gonfler avec ma sacrosainte liberté d’expression, mais bon, vois les choses du bon côté, en ce 14 février la majorité des blogs et des réseaux sociaux va être saturée de messages de Saint Pognon Valentin, donc au moins sur Tears of the Night tu vas y échapper.

Aujourd’hui est un jour sombre. Et non, pas seulement parce que je me suis réveillé seul dans un lit froid. Mais parce que je me suis levé avec une nouvelle provenant d’Outre Atlantique qui m’a mis, littéralement, les larmes aux yeux. Cette semaine, aux Etats Unis, dans la contrée de la liberté d’expression, un homme a été mis en prison pour possession de manga, et je n’arrive toujours pas à l’admettre. Je serais tout autant outré si cela arrivait en France, mais moins « choqué » puisqu’après tout, en France, non seulement cela pourrait arriver (et cela arrive peut être, mais on n’en parle pas, c’est tabou) mais en plus j'ai découvert en faisant des recherches pour l'écriture de cet article que la loi prévoit verbatim que cela puisse arriver (article 227-23 du code pénal, donc, le mot important de la première phrase étant "représentation") (car bien évidemment, la raison pour laquelle monsieur Handley se retrouve en prison est que certains de ces manga mettaient en scène des dessins sexuels avec des animaux animaux, et d’autres des dessins sexuels avec des enfants, il n’a pas été mis en prison parce qu’il collectionnait Naruto ou Dragonball, hein). J’en avais déjà parlé dans mon article précédent sur le sujet, mais on oublie trop vite que la liberté d’expression n’est PAS un droit total en France ou en Europe. Alors que c’est censé être le cas dans l’autre nation avec un drapeau rouge, blanc et bleu (avec des étoiles).

J’apprends cette nouvelle en plein milieu d’un article sur la Loppsi que j’étais en train de vous écrire, clamant combien cette loi était encore plus inacceptable qu’Hadopi, combien on pouvait faire voter n’importe quoi en le masquant derrière un voile de « moralité », et combien l’opinion publique pouvait être naïve. En effet, dans la rue, vous trouverez beaucoup plus de gens approuvant sur le principe le blocage de sites pédopornographiques que de gens approuvant les lettres recommandées envoyées aux voleurs de musique. Et pourtant c’est pire : non seulement cela « renforce » les systèmes de cryptage des vrais cyber criminels qui abusent de pauvres gosses, non seulement l’expérience allemande en a prouvé l’inefficacité, non seulement cela entraine des dommages collatéraux comme l’anecdote célèbre des Scorpions et de Wikipedia, mais surtout c’est une mesure poudre aux yeux dont la seule conséquence sera de rendre ces crimes moins visibles et identifiables par les gens qui les combattent VRAIMENT (vous savez, la police, tout ça…) avec un impact réel stupide. Croire que retirer les sites vitrine pédopornographiques sur Internet va protéger les gosses victimes de tels abus, c’est un peu croire que la guerre s’arrête dans le monde quand on n'en voit pas les images au journal télé.

Bref, la Loppsi, il y a beaucoup à en dire, mais je m’arrêterai là sur le détail (au pire vous avez le net si le sujet vous intéresse, sinon vous ne seriez pas en train de me lire) mais surtout parce que l’affaire Handley illustre à merveille ce point de vue. Alors où se situe la moralité, et pourquoi est-il essentiel de se battre pour les droits de telles personnes ? La réponse a déjà été écrite, de manière bien plus complète et éloquente que ce que je n’aurais pu le faire, il y a des mois déjà au début de cette affaire par le célèbre écrivain britannique vivant aux Etats Unis, icône de la contreculture, Neil Gaiman, sur son blog. Je vous invite à lire son article très pertinent sur le sujet. Pour ceux d’entre vous qui ne sont pas anglophones, je me permet d’en proposer ici une traduction intégrale en français. Le but n’est en aucun cas de remettre son droit d’auteur en cause mais simplement de rendre accessible à un plus grand nombre cette démonstration brillante du caractère essentiel de la défense de l’indéfendable au nom de la liberté d’expression.

*****

Pourquoi défendre la liberté d’expression dégueulasse?

Ce message va être un peu long, et je m’en excuse. Je voulais parler d’autres choses, mais j’ai commence à écrire une réponse à la lettre ci-dessous ce matin et je me suis laissé emporter.

« J’ai des questions au sujet du cas Handley. En quoi est-ce que le lolicon est une cause qui mérite d’être défendue ? Le Yaoi, tel que je le comprends, n’implique pas forcément de la pédophilie, mais le but du lolicon est bien de sexualiser des filles pré pubères, non ? Et n’y a t’il pas eu des tonnes d’études psychologiques sérieuses pour avancer que si une personne trouve une communauté de soutien pour un fetish, une croyance ou un comportement, il est plus probable qu’elle s’y adonne ? C’est pour ça que les mouvements sociaux sont si importants pour les groupes opprimés ou non conventionnels (ce qui englobe tout depuis la communauté fetish jusqu’au libertarisme de l’économie de marché) et pour cela aussi qu’un groupe comme NAMBLA peut être si effrayant (en gros, c’est un groupe de soutien pour les violeurs de bébés.)

Pour moi, la question est de savoir si le fait de sauver ne serait-ce qu’UN enfant d’un viol ou d’une tentative de viol, ou même d’un peu trop de câlins trop serrés du Bizarre Tonton Marcel, ne justifie t’il pas le fait de retirer une poignée de corps nus d’un comic book ? Après tout, il est absolument possible de sous-entendre ou de discuter de ces problèmes (par exemple si quelqu’un perd sa virginité à 14 ans et décide d’écrire un comic book là dessus) sans nécessairement mettre une bonne grosse image d’un boulet de 14 ans en train de se faire pénétrer en guise d’illustration. Je pense aussi qu’il y a un monde de différence entre l’histoire de Sandman qui illustre le viol d’une enfant comme la chose horrible qu’elle est (et si je ne m’abuse qui se termine avec une mort horrible pour le pervers) et le fait d’illustrer le viol d’enfants comme quelque chose de sexy et d’excitant. Je pense qu’il y a également une différence entre admettre la sexualité des enfants, et de la pornographie avec des enfants comme thème créée pour des adultes. Où se situe le lolicon dans cet éventail de cas ? Et, là encore, pourquoi est-ce que vous, personnellement, pensez qu’il doit être défendu ?

Merci d’avoir lu ma tirade, et de nous être accessible, et engagé dans des causes comme le CBLDF. Je pense que c’est en grande partie une organisation fabuleuse, mais sur ce cas précis je suis vraiment tiraillée.

Jess »


Voyons si je peux soulager un peu ce tiraillement, Jess. J’ai bien peur que cela va être une réponse un peu longue, voire une tirade – un credo, et comment je suis arrivé à penser cela.

Si vous acceptez – comme moi – que la liberté d’expression est importante, alors il va vous falloir défendre l’indéfendable. Cela veut dire que vous allez devoir défendre le droit des gens de lire, ou d’écrire, ou de dire les choses que vous ne dites pas, ou n’aimez pas, ou ne voulez pas qu’on dise.

La Loi est une énorme massue qui ne fait pas et ne fera pas de distinctions entre ce que vous estimez acceptable et inacceptable. La Loi est ainsi faite.

Les gens qui créent de l’art découvrent où se trouvent les limites d’une expression libre en les dépassant et en ayant des problèmes.

LOST GIRLS, par Melinda Gebbie et Alan Moore est long de plusieurs centaines de pages. J’ai posté ici une critique complète que j’ai écrite pour Publishers Weekly (NdT : lien en anglais). Pour décrire Lost Girls j’ai dit :

« La frontière entre la pornographie et l’érotisme est ambiguë, et elle change en fonction de l’endroit où l’on se trouve. Pour certains, peut être, c’est une question de savoir ce qui vous excite (mon érotisme, votre pornographie), pour certains la distinction est un facteur de classe (c.-à-d. l’érotisme c’est de la pornographie pour les riches). Peut être qu’il y a également un facteur lié à sa distribution – la pornographie sur internet c’est forcément du porno, alors qu’une publication Edwardienne sur un papier couleur crème achetée par des connaisseurs et reliée en volumes hors de prix, c’est forcément de l’érotisme.

Et plus loin, spécifiquement sur Lost Girls, j’ai dit :

C’est le genre de porno qui n’aurait aucun mal à démontrer à un procureur zélé qu’il a une validité artistique indéniable dépassant largement son simple droit d’exister grâce au premier amendement. »

(Ce qui est le genre de choses qu’on écrit dans une critique en soupçonnant que son but réel, un jour ultérieur, soit de persuader un procureur que l’affaire est déjà perdue et que ça ne vaut pas la peine de s’embêter avec.)

Dans les nombreuses permutations de Lost Girls sur le thème de la sexualité, il y a un peu de contenu mettant en scène des personnages de fiction en dessous de l’âge actuel de la majorité sexuelle. Après tout, c’est une histoire dont le sujet est l’éveil de la sexualité, et nous sommes peu nombreux à s’éveiller à cela exactement le jour de notre dix-huitième anniversaire (ou autre en fonction de l’âge de la majorité sexuelle dans votre pays (NdT : quinze ans en France, article 227-25 du code pénal)). On finit per se retrouver à lire un livre dans le livre, une fantaisie à la Beardsley où les personnages de fiction discutent du fait qu’ils sont des lignes tracées sur le papier, des fantasmes métafictionnels, en s'adonnant à des rapports sexuels incestueux entre mineurs. C’est de l’art, et c’est génial, et c’est profondément problématique, et ça vous fait réfléchir sur la nature du porno et la nature de l’art, et sur là où se trouvent les limites.

La Loi est une grosse massue. Ce n’est pas un scalpel. C’est un gourdin. S’il y a quelque chose que vous estimez indéfendable, et qu’il y a quelque chose que vous estimez digne d’être défendu, et qu’une même loi a le pouvoir de les interdire tous les deux, alors vous allez être dans une position où vous allez défendre l’indéfendable.

Je suis né le jour du jugement du procès de Lady Chatterley en Angleterre, le jour où il a été décidé que L’amant de lady Chatterley, avec ses jurons, sa sodomie, et son sexe cru entre les classes sociales, était digne d’être publié et lu dans une édition bon marché que les pauvres et les serviteurs pourraient lire. Dans cette même Angleterre où, quelques années auparavant, le director of public prosecutions (NdT : un genre de Garde des Sceaux) avait menacé de poursuivre le Professeur F.R. Leavis s’il faisait ne serait-ce qu’une référence au Ulysse de James Joyce dans un cours magistral (le DPP en question était Archibald Bodkin, qui a également fait interdire Le puits de solitude), cette Angleterre où, alors que j’avais seize ans et que j’écoutais les Sex Pistols, l’éditeur de Gay News a été mis en prison pour le pour le crime de Blasphème Criminel, pour avoir publié un poème érotique contenant un fantasme sur Jésus.

Lorsque j’étais en train d’écrire Sandman, il y a dix-huit ans environ, j’ai pensé que le Marquis de Sade ferait un bon personnage pour mon histoire sur la Révolution Française (j’adorais le fait qu’à cette époque il était gros, asthmatique et en prison pour avoir refusé de condamner des gens à mort) et j’ai réalisé que je devrais lire ses livres plutôt que des études critiques si j’allais le mettre dans mon histoire. J’ai découvert que les œuvres de De Sade étaient, à l’époque, considérées comme obscènes et non-disponibles au Royaume Uni, et que les Douanes britanniques les avaient déclarées non-importables. Je les ai achetées chez Borders la fois suivante où j’ai été aux USA, et je les ai fait passer à la douane avec un air coupable (il est maintenant possible de commander De Sade au Royaume Uni. L’arrivée du porno sur internet au RU a eu comme conséquence que la police a cessé de courir après ce genre de choses.)

La première fois où je me suis impliqué dans une levée de fonds pour la liberté d’expression dans les comic books c’était fin 1983, début 1984 – Knockabout Comics était en plein dans l’une des batailles fréquentes les opposant aux Douanes britanniques sur ce qui pouvait et ne pouvait pas être importé au RU. Certains comics contenaient des gros mots, du sexe, ou l’usage de marijuana, et les Douanes britanniques saisissaient tout comic book auxquels ils s’opposaient, et souvent bien d’autres comics dans le même colis, forçant Knockabout à se battre dans de longues et onéreuses batailles judiciaires pour récupérer leurs comics. (Je me souviens de l’outrage lorsqu’en 1996 Knockabout a importé quelques livres de Robert Crumb pour illustrer un grand documentaire de BBC TV sur Crumb et que les Douanes britanniques ont confisqué les livres, créant une nouvelle affaire judiciaire. Je suis presque sûr qu’il s’agissait d’œuvres autobiographiques de Crumb contenant des dessins de fantasmes sexuels mettant des mineurs en scène. Comme Tony Bennett de Knockabout l’a dit dans une interview récente, « L’autre affaire était avec les Douanes de Sa Majesté en 1996 au sujet de comics de Robert Crumb et d’images sexuelles explicites. Nous avons également largement gagné ce procès, et les Douanes ont eu l’aimable obligeance de m’écrire après le procès pour m’envoyer une liste définissant quels actes sexuels pouvaient être montrés dans des comics. Je ne l’ai pas encadré, mais c’est un document très précieux. »)

La première fois que j’ai failli envoyer un éditeur en prison pour quelque chose que j’avais écrit était en 1986 ou 1987, dans Outrageous Tales From The Old Testament chez Knockabout (NdT : « Les Histoires Outrancières de l’Ancien Testament ») : j’avais réécrit une histoire du Livre des Juges contenant un viol et un meurtre, et l’affaire a été portée au tribunal pour contrevenir une loi Suédoise sur les représentations d’images de violence contre les femmes. L’affaire a été gagnée lorsque la défense a mis en avant que les mots étaient extraits de l’édition King James de la bible, et que les images étaient une juste représentation de cette scène…

(Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas le Livre des Juges par cœur, voici une version en ligne de la Bible et de la scène qui a causé le procès :

Pendant qu’ils étaient à se réjouir, voici, les hommes de la ville, gens pervers, entourèrent la maison, frappèrent à la porte, et dirent au vieillard, maître de la maison : Fais sortir l’homme qui est entré chez toi, pour que nous le connaissions. (NdT : la version anglaise de la Bible est encore plus explicite : « so we can have sex with him. »)

Le maître de la maison, se présentant à eux, leur dit : Non, mes frères, ne faites pas le mal, je vous prie ; puisque cet homme est entré dans ma maison, ne commettez pas cette infamie. Voici, j’ai une fille vierge, et cet homme a une concubine ; je vous les amènerai dehors ; vous les déshonorerez, et vous leur ferez ce qu’il vous plaira. Mais ne commettez pas sur cet homme une action aussi infâme.

Ces gens ne voulurent point l’écouter. Alors l’homme prit sa concubine, et la leur amena dehors. Ils la connurent, et ils abusèrent d’elle toute la nuit jusqu’au matin ; puis ils la renvoyèrent au lever de l’aurore. Vers le matin, cette femme alla tomber à l’entrée de la maison de l’homme chez qui était son mari, et elle resta là jusqu’au jour.

Et le matin, son mari se leva, ouvrit la porte de la maison, et sortit pour continuer son chemin. Mais voici, la femme, sa concubine, était étendue à l’entrée de la maison, les mains sur le seuil. Il lui dit : Lève-toi, et allons-nous-en. Elle ne répondit pas. Alors le mari la mit sur un âne, et partit pour aller dans sa demeure.

Arrivé chez lui, il prit un couteau, saisit sa concubine, et la coupa membre par membre en douze morceaux, qu’il envoya dans tout le territoire d’Israël.

)

Et dans chaque affaire que j’ai mentionné jusqu’à présent, il serait possible de réécrire la lettre de Jess ci-dessus, en expliquant que seuls les pervers voudraient avoir envie de lire Lady Chatterley, ou voir des images de femmes violées, ou de lire Lost Girls ou les œuvres de Robert Crumb, et en mentionnant que si ne serait-ce qu’une personne était sauvée d’un câlin d’un tonton bizarre ou, en effet, d’être violée en pleine rue, alors les interdire ou faire un procès à ceux qui les écrivent, les dessinent, les publient, les vendent, ou – maintenant – les possèdent, alors cela en vaut la peine. Parce que c’était exactement le point de vue des gens qui interdisaient ces livres ou empêchaient les gens de les lire. Ils pensaient faire quelque chose de bien. Ils pensaient défendre les autres gens contre quelque chose dont ils avaient besoin d’être protégés.

J’ai adoré venir m’installer aux USA en 1992, principalement parce que je suis tombé amoureux de l’idée que la liberté d’expression était une chose essentielle. J’en suis toujours convaincu. En dépit de tous leurs défauts, les USA ont la Liberté d’Expression. Le Premier Amendement déclare qu’on ne peut pas être arrêté pour dire des choses qui ne plaisent pas au gouvernement. Tu peux dire ce que tu veux, écrire ce que tu veux, et savoir que le remède contre quelqu’un qui dit ou qui écrit ou qui montre des choses qui t’offensent est de ne pas le lire, ou de t’exprimer contre. J’aime avoir le droit de lire quoi que ce soit pour m’en faire ma propre opinion.

(Il est bon de signaler qu’au Royaume Uni, par exemple, il n’y a pas de loi similaire, et qui même la Cour Européenne des Droits de l’Homme a statué qu’interférer avec la liberté d’expression était « nécessaire dans une société démocratique » afin de garantir les droits d’autrui « d’être protégé contre les insultes gratuites envers leurs croyances religieuses. »)

Alors lorsque Mike Diana a été mis en examen – et, en 1996, reconnu coupable – pour obscénité dans les comics de son magazine « Boiled Angel », et condamné à une tonne de choses, y compris (si ma mémoire est bonne) trois ans de prison avec sursis, une amende de trois mille dollars, l’interdiction d’être dans la même pièce que quiconque de moins de dix-huit ans, plus de mille heures de travaux d’intérêt général, et l’interdiction de dessiner quoi que ce soit que quiconque pourrait considérer obscène, avec ordre pour la police locale de faire régulièrement des descentes de contrôle à son domicile pendant 24 heures sans prévenir au préalable pour s’assurer que Mike n’était pas secrètement en train de produire de l’Art au petit matin… c’est là que j’ai décidé que je savais ce qui était Obscène : mettre des artistes en examen pour avoir des idées et tracer des lignes sur du papier. J’ai su qu’à partir de ce moment, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour soutenir le Comic Book Legal Defense Fund. Que j’aime ou non, que j’approuve ou non ce que faisait Mike Diana n’avait aucune importance. (Pour les curieux, je n’aimais pas les textes dans Boiled Angel, mais j’aimais bien les dessins, qui étaient très personnels et avaient une force crue. Et quelque part dans ma pile de magazines dans ma collection à la cave, j’ai Boiled Angel numéros 7 et 8, que j’ai lu à l’époque pour savoir ce qui était mis en examen, et pour lesquels je suppose que je pourrais maintenant être arrêté…)

La première fois que le CBLDF a agi pour défendre l’un de mes comics, c’était pour l’insert Death Talks About Life à la fin de DEATH : THE HIGH COST OF LIVING, dans lequel on voit Death mettre un préservatif autour d’une banane en expliquant comment ne pas tomber enceinte, malade, ou mort. La Chef de Police de (si ma mémoire est bonne) Jacksonville en Floride a ordonné à un magasin de comics de ne pas le vendre, parce qu’elle trouvait que c’était obscène et encourageait la sexualité des adolescents. Dans cette affaire, il aura suffi d’une lettre de Burton Joseph, le conseiller en droit du CBLDF, au Poste de Police de Jacksonville pour leur expliquer le concept du Premier Amendement (et, par implication, qu’il existait une organisation toute prête à défendre ce genre d’affaires) et ils se sont tus, partis la queue entre les jambes. (C’est en ça que consiste le plus gros de l’activité du CBLDF – des petites choses tranquilles qui mettent fin aux menaces de procès contre les magasins ou les créateurs.) Du point de vue de la Chef de Police, Death Talks About Life était obscène. Elle voulait le voir retiré des rayons. Elle voulait que les gens en soient protégés.

Dans cette histoire, il est évident que vous avez été exposée à du lolicon, et pas moi. Je ne sais pas si vous parlez d’expérience personnelle ici, et si personnellement vous avez été incitée à violer des enfants où à leur faire des câlins douteux en l’ayant sous les yeux. (Je suppose que ce n’est pas le cas. Je suppose que ce n’est pas le cas non plus pour Chris Handley et son énorme collection de manga. J’ai lu des livres affirmant qu’être exposé à du porno cause des viols, mais je n’ai vu aucune preuve statistique comme quoi le porno cause des viols – et au contraire il y a des gens qui affirment que le déclin du nombre de viol aux USA est peut être dû à la plus grande disponibilité du porno (NdT : lien en anglais). En toute honnêteté, je pense que c’est un faux problème vis à vis du Premier Amendement, et c’est un débat que je laisserai à d’autres.) Néanmoins, vous semblez vouloir interdire le lolicon, et mettre en examen ceux qui en possèdent, alors que moi non. Vous me demandez : En quoi mérite t’il d’être défendu ? et la seule réponse que j’ai à vous offrir c’est ceci : La liberté d’écrire, la liberté de lire, et la liberté de posséder des ouvrages qui méritent d’être défendus à vos yeux impliquent qu’il faut que vous soyez prête à défendre les ouvrages qui selon vous ne le méritent pas, et même des choses que vous trouvez terriblement de mauvais goût, parce que les lois sont de grosses massues qui ne font aucune différence entre ce que vous aimez et ce que vous n’aimez pas, parce que les parties civiles sont des êtres humains et qu’ils ont des rancœurs ou qu’ils se battent pour être réélus, et parce que l’obscénité de l’un sera l’art de l’autre.

Parce que si vous n’êtes pas prêt à défendre les choses que vous n’aimez pas, lorsqu’ils viendront attaquer les choses que vous aimez, vous aurez déjà perdu.

Le CBLDF défendra votre droit du Premier Amendement en tant qu’adulte de tracer des lignes sur le papier, de dessiner, d’écrire, de vendre, de publier, et maintenant de posséder des comics. Et c’est pour cela que le genre d’ouvrage que vous n’aimez pas, ou ne lisez pas, ou qui n’a aucune valeur artistique ou élément intéressant à vos yeux, est une cause qui mérite d’être défendue. Parce que ce sont les même lois qui régissent ce que vous aimez et ce que vous trouvez répugnant, indépendamment de la limite où se trouve votre frontière de ce qui est répugnant : la loi est une grosse massue qui ne fait pas de travail de précision, et parce qu’on ne réalise combien la liberté d’expression absolue est merveilleuse que le jour où on la perd.

(Et pour que ce soit clair, je pense que la pédopornographie et l’exploitation d’enfants réels pour du porno ou du sexe est quelque chose de fondamentalement mauvais et intolérable, parce que de véritables enfants sont directement blessés. Tout comme je pense que mettre deux adolescents de 16 et 17 ans en examen pour « pédopornographie » sous le prétexte qu’ils ont pris des photos sexuelles d’eux même et se les ont envoyés alors qu’ils avaient légalement le droit de faire l’amour (NdT : lien en anglais) est complètement, totalement idiot, et un bel exemple de la loi en tant que massue.)

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Tout est dit.

La citation du jour : "En même temps ... lire des mangas ... fallait s'y attendre quoi !"
La chanson du jour : J'ai tellement de choses à dire, Michel Polnareff, "J'avais pour tout bagage des mots et des images. J'ai eu peur, Dieu me garde, qu'on garde mon âme à la douane"

Même si on a de plus en plus le devoir d'en dire de moins en moins, la vie est belle!

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***Article(s) en date du 9.10.09***

Roman, Frédéric, les garçons et les filles pas de leur âge

Bon,

Comme quoi, une discussion animée sur Twitter peut m’amener à faire des coupes franches dans mon planning et venir poster un (relativement) long article ici alors qu’en toute objectivité, je n’ai toujours pas vraiment le temps de me le permettre. Mais bon.

Tout d’abord, deux précisions sur les protagonistes de ce billet :

1) Je trouve que Frédéric Mitterrand est un ministre absolument incompétent. Les deux seules choses pour lesquelles il a fait un minimum de buzz dû à son travail sont une déclaration scandaleuse le jour de l’arrestation de Polanski (j’y reviens plus bas) et la reprise à son compte du projet Hadopi devenu Hadopi 2 et qui, s’il est évident qu’il n’est pas le cerveau derrière ce projet, antérieur à sa prise de fonction, le rend quand même coupable de l’avoir défendu et fait voter. Et je trouve d’ailleurs que ce qui se passe en ce moment est un très joli retour de karma, une sorte de justice poétique, puisque la seule chose qui me gène dans Hadopi n’est pas vraiment de chercher à punir les pirates (fidèle lecteur, assidue lectrice, tu sais que je suis CONTRE le piratage) mais de chercher à le faire en bafouant si ouvertement les libertés individuelles et la présomption d’innocence. Karma is your bitch now, Frédéric.

2) Je trouve que Roman Polanski a énormément de talent. Rosemary’s baby est très intéressant. The Pianist mérite sa palme d’or, son césar, son oscar, etc. Petit chouchou personnel, The Ninth Gate est certainement mon film favori de Polanski, et l’un de mes films favoris avec Johnny Depp. J’aime sa vision des choses et le regard qu’il nous invite à porter dans ses films.

Je voulais que ces deux précisions soient claires, vu que je vais dans cet article plus ou moins descendre celui des deux que j’apprécie, et tenter de défendre celui que je trouve inepte et incompétent. Croyez, moi, ça me coûte.

Les « affaires » Polanski et Mitterrand ((que nous – enfin, moi – appellerons « FMitt » dans la suite de cet article)) ont fait beaucoup de buzz dans les media, dans les journaux et sur Twitter. Et plus que les « affaires » en elles-mêmes, ce sont surtout les réactions des media et du public qui me choquent. Comme quoi, même en devenant de plus en plus misanthrope avec le temps (coucou, M&Ms) j’arrive encore à être désagréablement surpris par la malléabilité des foules et leur capacité inouïe à croire n’importe quoi, pourvu que tout le monde ait l’air d’accord. Très bien résumé, d’ailleurs, dans ce petit strip de la bande pas dessinée que je vous invite à lire et à apprécier.

Polanski, d’abord, procédons chronologiquement dans les buzz malsains. Je trouve absolument scandaleux la manière dont certains hommes politiques, célébrités, et tant d’anonymes, défendent cet homme et hurlent eux même au scandale en réclamant sa libération. Souvent, d’ailleurs, en véhiculant des idées fausses ou mal comprises (media, vous êtes aussi coupables) voire déformées.
J’ai entendu tout et n’importe quoi sur Polanski la semaine dernière, allant du « elle était consentante » semblant oublier l’âge de la consentante qui ne l’était pas, au « la victime a retiré sa plainte » (non, la plainte a été réglée financièrement à l’amiable, mais ça ne change rien à la plainte de l’Etat, même si la victime aimerait en effet tourner la page au bout de 30 ans) en passant par le merveilleux « il a déjà purgé sa peine / on lui a promis qu’il n’irait pas en prison » qui ne sont ni des faits, ni même des approximations de faits. Le best of à mes yeux venant de cette déclaration magnifique de Whoopi Goldberg (clic pour la visionner sur YouTube) qui nous explique que OK, c’était un viol, mais ce n’était pas un « viol-viol ». Le viol étant tout à fait bénin sur une mineure, contrairement à un « viol-viol » qui, oui, là, aurait été grave. Merci Whoopi. (Et je ne vous parle même pas du « viol-viol-viol », c’est tabou).

On parle quand même d’un homme qui, certes a eu un passé difficile, certes a dû vivre après le massacre de sa femme par la secte de Charles Manson, mais d’un homme qui a FAIT BOIRE DU CHAMPAGNE A UNE GAMINE ET L’A BOURREE DE MEDOCS POUR LA VIOLER. Et ce n’est même pas un on-dit, ou une hypothèse, il a *reconnu les faits*. Quant à ce que j’entends sur le « on lui a promis qu’il n’irait pas en prison », rétablissons les FAITS : l’accord qui a été passé avec Polanski est que s’il acceptait de plaider directement coupable pour viol sur mineure, la justice abandonnerait les circonstances aggravantes de lui avoir administré alcool et drogue, et la préméditation. En d’autres termes, cela ne veut certainement pas dire que Polanski n’aurait pas été en prison, mais sans doute qu’il n’y serait resté qu’un temps « raisonnable » et pas à perpétuité. Et malgré toute l’estime que je lui porte, et tout son talent, cela reste un criminel, ayant reconnu ses actes, et ayant fui la justice avant qu’elle soit rendue. Et ça, c’est mal. Pour citer Kevin Smith à ce propos sur Twitter : « You do the crime, you do the time ».

Ceux qui s’intéressent à l’affaire Polanski et veulent se faire leur propre opinion en se basant sur des faits plutôt que sur le rabâchage médiatique récent, voici :

Bien, passons maintenant à l’autre partie du billet et à la défense de FMitt.

Tout incompétent à son poste qu’il soit, FMitt est actuellement vitupéré par de nombreux hommes et femmes politiques et une bonne partie de la blogo/twittosphère. On lui reproche, donc, d’être un odieux pédophile récidiviste proxénète et je ne sais quoi d’autre, suite à une accusation de Marine Le Pen, un modèle de morale et de pensée à imiter. Depuis cette accusation, la « classe politique » est divisée entre ceux qui lui apportent son soutien et ceux qui réclament sa démission.

Et autant j’aimerais bien qu’il démissionne, notre FMitt, tant je suis convaincu qu’à peu près n’importe qui d’autre (excepté peut être Marine Le Pen la susnommée) ferait un meilleur travail que lui au poste de Ministre de la Culture, autant j’ai l’impression de me trouver face à une mauvaise redite du procès d’Outreau.

Déjà, un fait que semblent oublier pas mal de gens : accuser quelqu'un de pédophilie, c'est grave. On la refait, en gras ? Accuser quelqu’un de pédophilie, c’est grave. Très grave. Encore plus grave que d’accuser quelqu’un de viol (ou de dire d’un violeur de mineur que ce n’est pas si grave, cf. plus haut). Abuser d’un gosse contre son gré est sans doute dans le top 3 des crimes les plus odieux pouvant être commis par un être humain. Accuser quelqu’un de ce crime, c’est un peu le détruire, et abîmer sa vie sociale et professionnelle, car on ne se relève jamais vraiment indemne dans l’opinion publique d’une telle accusation lorsqu’elle a été un tant soit peu relayée par les media. Ce genre d’accusation ne se profère pas à la légère. JUSTEMENT parce qu’elles sont si graves lorsqu’elles sont vraies.

Sur quoi se basent ces accusations, donc ? Ont-elles un minimum de tangibilité pour valoir être tant relayée par tant de gens ?

Sur un livre.

Là encore, on va la refaire, en gras : sur UN LIVRE. Qui n'a visiblement pas été lu, d'ailleurs, par la majorité de ceux qui s'en servent comme preuve à charge.

Je ne vais pas discourir à nouveau sur la liberté d’expression, je l’ai déjà fait récemment et vous inviterai simplement à relire l’article en question ici si besoin. Certes, ce livre est proche, très proche d’une autobiographie (FMitt le décrit comme « un récit », laissant élégamment planer l’ambiguïté sur les passages réellement tirés de sa vie et ceux qui ont été inventés par le romancier. C'est d'ailleurs cette élégance qui avait plu à la critique, à l'époque, comme le montre bien cet article du nouvel obs de 2005). Mais quand bien même ce livre en serait une, et même si tout ce qu’il y avait dans ce livre était vrai, à aucun moment FMitt ne parle de gosses ou de pédophilie. Oui, il appelle les hommes des « garçons ». En même temps ça fait trente ans qu’il le fait, en public, indépendamment de l’âge de son locuteur. De la même manière, je n’aime pas le mot « femme » et emploie toujours « fille » pour les personnes de sexe féminin, et j’espère bien ne jamais aller en prison pour ça.

Mais surtout, pour toute personne prenant le temps de, soyons fous, LIRE le passage en question (c’est dingue hein, mais un livre c’est fait pour être lu. Oui je sais, c’est plus dur que la télé et les pensées préfabriquées, mais c’est faisable) se rendrait compte immédiatement qu’il n’y a aucune ambiguïté sur la majorité du jeune escort boy dont le narrateur de « La Mauvaise Vie » s’offre les services dans le chapitre sur Bangkok. Pour les curieux, je vous invite à lire le passage en question, les journalistes de « Le Monde » (qui ont d’ailleurs écrit un éditorial très juste sur cette affaire sordide) ont eu la présence d’esprit de les mettre en ligne ici.

J’ai pu lire et entendre tout et n’importe quoi sur le sujet, allant du « les faits sont là » (sous-entendant que la pédophilie de FMitt est prouvée et avérée), aux milles variations sur le thème de « quand on va en Thaïlande c’est pour des mineurs » (et croyez bien que la prostitution infantile en Thaïlande, je connais bien le sujet, ayant donné du temps et de l’argent à l’association ECPAT il y a une dizaine d’années, association que je vous conseille si vous ne savez pas comment tenter de rendre ce système moins douloureux pour ceux qui ont à le subir) alors qu’en Thaïlande, la prostitution touche absolument toutes les tranches d’âges, et des deux sexes, en plus.

Mais ce qui est le plus choquant, c’est la méthode inverse appliquée à celle de Polanski. FMitt est un homme qui a écrit les aventures d’un homme s’offrant les services d’un escort-boy MAJEUR à Bangkok, a eu le courage de reconnaitre publiquement le fond de vérité de ce passage de ce LIVRE, et sous une accusation émise sans preuve, sans fondement, sans même un « faisceau d’éléments » poussant à croire que cela pourrait être vrai (genre s'il passait son temps à faire les sorties de collèges ou à assister à des match de foot inter-CM2).

Si tous les hommes (et femmes, yen a aussi) ayant profité de la prostitution en Thaïlande (ou ailleurs) étaient forcément des pédophiles, le problème déjà grave des prisons surpeuplées en France serait multiplié par dix. Et penser que tous les hommes qui aiment les hommes sont forcément des pédophiles nous ramènerait aux heures sombres du Moyen Age (et encore !).

Cette affaire et tout le foin médiatique causé par tous ces moralisateurs persuadés d’avoir raison, intimement convaincu de la culpabilité de FMitt *sans avoir lu le livre* ni même avoir un peu cherché à connaître l’homme derrière l’accusation me font tristement penser à Outreau où à d’autres affaires où, le sujet étant grave, voire tabou, on condamne sans vérifier, sans être sûr, juste pour satisfaire la morale ou l’opinion publique, ou se faire mousser comme un défenseur des bonnes mœurs.

J’ai mal, mal à la présomption d’innocence.

Le cynique en moi, convaincu de la pertinence des théories de synchronicité de C.G.Jung, a tendance à dire que FMitt paie avec cette atteinte à sa présomption d’innocence sa défense d’Hadopi 2, un texte qui malmène au moins aussi durement ce même principe. Mais même s’il est incompétent, et même si c’est un beau retour de justice poétique, nul homme ne mérite d’être accusé à tort de faits aussi grave que ceux qu’a, au hasard, commis Roman Polanski.

La boucle est bouclée.

La citation du jour : « Ca vaut le coup de pas être ok avec toi »
La chanson du jour : Le 20-04-2005, Katerine, « Putain Marine Le Pen nan nan mais Marine Le Pen nan mais tu le crois pas, tu le crois ça ? »

Même si je ne suis pas prêt de prendre des vacances, la vie est belle !

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***Article(s) en date du 5.6.09***

La plus belle de toutes...

Cela fait un petit moment que mon travail me force à vous bouder ici, alors pour vous récompenser de votre patience, ce nouvel article sera un article de fond sur un sujet sérieux, parce que j’en ai envie, et parce que cela fait longtemps…

Malgré le titre racoleur pour toute personne un tant soit peu fleur-bleue, je ne vais pas parler ici d’amour, mais de liberté. Enfin, l’une des libertés, pour être précis. En tant que français, j’ai été élevé dans des écoles, fréquenté des mairies, où l’on nous rabâchait sans cesse la sacro-sainte trinité laïque qui a, dans notre pays, remplacé la trinité chrétienne : Liberté, Egalité, Fraternité.

Il y aurait beaucoup à dire sur l’égalité et la fraternité, aussi, surtout à l’heure actuelle, mais concentrons-nous plutôt sur le premier mot, « liberté », et plus particulièrement sur un type précis de liberté que 99% des français sont convaincus de posséder alors qu’il n’en est rien :

La liberté d’expression.

Oui, contrairement à ce que l’on pense, en France, la liberté d’expression n’est pas… libre. En effet, il existe une censure légale, des thèmes interdits, des tournures « mal vues », et de plus en plus de répression des « excès » menant notre pays (tout comme la plupart des pays développés en ce moment, il faudrait rappeler George Orwell et Aldous Huxley) vers un discours aseptisé et à de plus en plus de cette auto-censure mêlant langue de bois et langue de coton qui change notre paysage socioculturel en un beau tas d’hypocrisie bien pensante.

Car la liberté d’expression fait peur. Elle fait peur, car pour pouvoir s’exprimer, il faut d’abord réfléchir à ce qu’on veut/va dire. Et pour réfléchir à cela, il faut d’abord penser. Et penser, au XXIème siècle, cela deviens très vite un luxe réservé à une élite, et surtout un mode de vie dangereux, dangereux pour la société actuelle dont les excès sont de plus en plus flagrants et aux conséquences de plus en plus graves. Si on pense, on est de plus en plus amené à la remettre en question, et ça, c’est le Mal(tm). Donc on vous abreuve de Julien Courbet et de Star Academy, du cul des Pussycat Dolls et de matchs de football, pour vous amener à ressentir, jouer avec vos émotions, satisfaire vos besoins (Panem et circenses, du pain et des jeux, ça date de Juvénal, et c’est plus que jamais d’actualité), et surtout, SURTOUT, réduire au minimum vos occasions de penser.

Et ça marche. Et une telle démarche est tellement rassurante pour la masse populaire, tellement simple, que le peuple lui-même tend le bâton pour se faire battre. Et ne me lancez même pas sur le langage SMS et l’appauvrissement du vocabulaire, moins on a de mots, moins ces mots sont précis, moins on peut exprimer une pensée précise, donc moins on pense précisément. Orwell, encore lui, l’avait mis en avant avec son langage simplifié, le « Newspeak », sauf que ce bon vieux George était bien trop optimiste : dans 1984, c’est l’Etat qui développe et impose le Newspeak pour réduire les facultés cognitives du peuple. Dans la vraie vie, c’est le peuple lui-même qui l’a adapté et adopté. Un jour, je ferai un article entier sur ce sujet, mais revenons à nos papillons.

Pourtant, malgré ce bon vouloir proactif du peuple à se laisser décérébrer, il reste encore des gens qui pensent, des gêneurs, et c’est contre eux que s’applique, en vrai, la censure en France. Oh, bien sûr, on continue à publier au journal officiel une dizaine de livres par an officiellement interdits de vente en France, en prenant soin de bien sélectionner des livres bien infâmes et antisémites, ou islamo-extrémistes, ou un bouquin parlant de viols d’enfants. Personne ne songe à être contre une telle censure, et cela suffit pour justifier toutes les autres dérives. Car il y en a, en France, des dérives.

Dérive, lorsque sous couvert d’Hadopi/Lopsi/Grossconneri on en vient à légaliser des « listes noires » de sites Internet communiquées par l’Etat aux fournisseurs d’accès Internet français qui auront obligation de rendre ces sites inaccessibles aux internautes de l’Hexagone. Qui, contrairement aux livres sus-cités, ne seront PAS enregistrés au journal officiel. Aucune transparence, aucun contrôle véritablement possible.

Dérive, lorsque Jérôme Bourreau-Guggenheim, un journaliste de TF1, se voit licencié pour avoir osé dire du mal de Hadopi (vous savez, la loi qui va à l’encontre de la loi européenne et qui punit de manière graduée mais sans recours possible à la présomption d’innocence ? Vous n’avez pas suivi ?) en public. Quand avoir une opinion et avoir le courage de l’assumer devient un motif de licenciement pour « divergence forte avec la stratégie », je trouve cela inadmissible.

Dérive, lorsqu’une mère de famille se retrouve sur le banc des accusés face à une ministre pour avoir commenté « Hou la menteuse » sous une vidéo Dailymotion de la ministre en question. Parce qu’il est bien connu qu’un ministre, ça ne ment jamais. Et qu’une personne écrivant « menteuse » sous une vidéo est autrement plus dangereuse pour la sécurité publique qu’un homme politique lambda qui traiterait un passant de petit con.

Et il y en a d’autres, des exemples, il suffit de creuser un peu pour en trouver. Et ce qui m’inquiète, c’est que cette censure, qu’elle soit réelle et répressive ou qu’il s’agisse de cette auto-censure hypocrite dont je parlais plus haut, personne, ou presque, ne s’en inquiète. Pire encore, de plus en plus de gens l’approuvent et la justifient comme le « mal pour un bien » nécessaire pour lutter contre la pédophilie, le piratage, ou je ne sais quel autre démon moderne brandi par les media comme un épouvantail, qui a existé de tout temps et qui a été (justement) réprimé de tout temps, mais qui sert maintenant comme d’une excuse fourre-tout pour justifier de plus en plus de bornes et de limites aux libertés individuelles, et les faire accepter comme de « Bonnes Idées »(tm) par la majorité de la population.

Parce qu’à mes yeux, il n’y a pas d’autre liberté plus importante, plus essentielle que celle ci. Parce que même les idées les plus dégueulasses, les plus ignobles, les plus abjectes, DOIVENT avoir le droit d’audience, ne serait-ce que pour qu’on puisse se rappeler combien elles sont inacceptables, ces idées, mais surtout parce que lorsqu’on s’engage sur ce terrain glissant, y’a t’il seulement encore possibilité de mettre des limites à ces limites ? Qui décide du bien et du mal ? Du droit de dire, ou de l’obligation de taire ? L’histoire nous a prouvé que la notion de « juste » et la notion de « vrai » dépendent énormément du contexte, et sont des concepts incroyablement flexibles. Et pour cela, pour ne pas se laisser enfermer dans un quelconque carcan cognitif, il me semble absolument capital de se battre pour la liberté d’expression. Parce que même si je ne suis pas d’accord avec tes idées, même si je les trouve répugnantes, je me battrai intellectuellement jusqu’au dernier souffle pour que tu conserve ton droit de les exprimer sans craindre une amende, un emprisonnement, ou 35 coups de fouet.

Parce qu’à l’heure où même eux se mettent de plus en plus à tenter de la limiter voire de la contourner, de lui trouver des exceptions, il me semble important de se rappeler qu’outre-Atlantique il existe une union d’états dont le premier amendement à la constitution est l’une des plus belles et plus indispensables lois jamais écrites par l’homme :

Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof; or abridging the freedom of speech, or of the press; or the right of the people peaceably to assemble, and to petition the Government for a redress of grievances.”

« Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l'établissement ou interdise le libre exercice d'une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu'a le peuple de s'assembler paisiblement et d'adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre. »

La citation du jour : « Ca roule ma poule ! Et une jeunette de 19 ans pour ton ménage, une ! »
La chanson du jour : Obstacle 1, Interpol, « But she can read, she can read, she can read, she can read, she's bad »

Même si cet article était un peu long, la vie est belle !

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