***Article(s) en date du 9.10.09***

Roman, Frédéric, les garçons et les filles pas de leur âge

Bon,

Comme quoi, une discussion animée sur Twitter peut m’amener à faire des coupes franches dans mon planning et venir poster un (relativement) long article ici alors qu’en toute objectivité, je n’ai toujours pas vraiment le temps de me le permettre. Mais bon.

Tout d’abord, deux précisions sur les protagonistes de ce billet :

1) Je trouve que Frédéric Mitterrand est un ministre absolument incompétent. Les deux seules choses pour lesquelles il a fait un minimum de buzz dû à son travail sont une déclaration scandaleuse le jour de l’arrestation de Polanski (j’y reviens plus bas) et la reprise à son compte du projet Hadopi devenu Hadopi 2 et qui, s’il est évident qu’il n’est pas le cerveau derrière ce projet, antérieur à sa prise de fonction, le rend quand même coupable de l’avoir défendu et fait voter. Et je trouve d’ailleurs que ce qui se passe en ce moment est un très joli retour de karma, une sorte de justice poétique, puisque la seule chose qui me gène dans Hadopi n’est pas vraiment de chercher à punir les pirates (fidèle lecteur, assidue lectrice, tu sais que je suis CONTRE le piratage) mais de chercher à le faire en bafouant si ouvertement les libertés individuelles et la présomption d’innocence. Karma is your bitch now, Frédéric.

2) Je trouve que Roman Polanski a énormément de talent. Rosemary’s baby est très intéressant. The Pianist mérite sa palme d’or, son césar, son oscar, etc. Petit chouchou personnel, The Ninth Gate est certainement mon film favori de Polanski, et l’un de mes films favoris avec Johnny Depp. J’aime sa vision des choses et le regard qu’il nous invite à porter dans ses films.

Je voulais que ces deux précisions soient claires, vu que je vais dans cet article plus ou moins descendre celui des deux que j’apprécie, et tenter de défendre celui que je trouve inepte et incompétent. Croyez, moi, ça me coûte.

Les « affaires » Polanski et Mitterrand ((que nous – enfin, moi – appellerons « FMitt » dans la suite de cet article)) ont fait beaucoup de buzz dans les media, dans les journaux et sur Twitter. Et plus que les « affaires » en elles-mêmes, ce sont surtout les réactions des media et du public qui me choquent. Comme quoi, même en devenant de plus en plus misanthrope avec le temps (coucou, M&Ms) j’arrive encore à être désagréablement surpris par la malléabilité des foules et leur capacité inouïe à croire n’importe quoi, pourvu que tout le monde ait l’air d’accord. Très bien résumé, d’ailleurs, dans ce petit strip de la bande pas dessinée que je vous invite à lire et à apprécier.

Polanski, d’abord, procédons chronologiquement dans les buzz malsains. Je trouve absolument scandaleux la manière dont certains hommes politiques, célébrités, et tant d’anonymes, défendent cet homme et hurlent eux même au scandale en réclamant sa libération. Souvent, d’ailleurs, en véhiculant des idées fausses ou mal comprises (media, vous êtes aussi coupables) voire déformées.
J’ai entendu tout et n’importe quoi sur Polanski la semaine dernière, allant du « elle était consentante » semblant oublier l’âge de la consentante qui ne l’était pas, au « la victime a retiré sa plainte » (non, la plainte a été réglée financièrement à l’amiable, mais ça ne change rien à la plainte de l’Etat, même si la victime aimerait en effet tourner la page au bout de 30 ans) en passant par le merveilleux « il a déjà purgé sa peine / on lui a promis qu’il n’irait pas en prison » qui ne sont ni des faits, ni même des approximations de faits. Le best of à mes yeux venant de cette déclaration magnifique de Whoopi Goldberg (clic pour la visionner sur YouTube) qui nous explique que OK, c’était un viol, mais ce n’était pas un « viol-viol ». Le viol étant tout à fait bénin sur une mineure, contrairement à un « viol-viol » qui, oui, là, aurait été grave. Merci Whoopi. (Et je ne vous parle même pas du « viol-viol-viol », c’est tabou).

On parle quand même d’un homme qui, certes a eu un passé difficile, certes a dû vivre après le massacre de sa femme par la secte de Charles Manson, mais d’un homme qui a FAIT BOIRE DU CHAMPAGNE A UNE GAMINE ET L’A BOURREE DE MEDOCS POUR LA VIOLER. Et ce n’est même pas un on-dit, ou une hypothèse, il a *reconnu les faits*. Quant à ce que j’entends sur le « on lui a promis qu’il n’irait pas en prison », rétablissons les FAITS : l’accord qui a été passé avec Polanski est que s’il acceptait de plaider directement coupable pour viol sur mineure, la justice abandonnerait les circonstances aggravantes de lui avoir administré alcool et drogue, et la préméditation. En d’autres termes, cela ne veut certainement pas dire que Polanski n’aurait pas été en prison, mais sans doute qu’il n’y serait resté qu’un temps « raisonnable » et pas à perpétuité. Et malgré toute l’estime que je lui porte, et tout son talent, cela reste un criminel, ayant reconnu ses actes, et ayant fui la justice avant qu’elle soit rendue. Et ça, c’est mal. Pour citer Kevin Smith à ce propos sur Twitter : « You do the crime, you do the time ».

Ceux qui s’intéressent à l’affaire Polanski et veulent se faire leur propre opinion en se basant sur des faits plutôt que sur le rabâchage médiatique récent, voici :

Bien, passons maintenant à l’autre partie du billet et à la défense de FMitt.

Tout incompétent à son poste qu’il soit, FMitt est actuellement vitupéré par de nombreux hommes et femmes politiques et une bonne partie de la blogo/twittosphère. On lui reproche, donc, d’être un odieux pédophile récidiviste proxénète et je ne sais quoi d’autre, suite à une accusation de Marine Le Pen, un modèle de morale et de pensée à imiter. Depuis cette accusation, la « classe politique » est divisée entre ceux qui lui apportent son soutien et ceux qui réclament sa démission.

Et autant j’aimerais bien qu’il démissionne, notre FMitt, tant je suis convaincu qu’à peu près n’importe qui d’autre (excepté peut être Marine Le Pen la susnommée) ferait un meilleur travail que lui au poste de Ministre de la Culture, autant j’ai l’impression de me trouver face à une mauvaise redite du procès d’Outreau.

Déjà, un fait que semblent oublier pas mal de gens : accuser quelqu'un de pédophilie, c'est grave. On la refait, en gras ? Accuser quelqu’un de pédophilie, c’est grave. Très grave. Encore plus grave que d’accuser quelqu’un de viol (ou de dire d’un violeur de mineur que ce n’est pas si grave, cf. plus haut). Abuser d’un gosse contre son gré est sans doute dans le top 3 des crimes les plus odieux pouvant être commis par un être humain. Accuser quelqu’un de ce crime, c’est un peu le détruire, et abîmer sa vie sociale et professionnelle, car on ne se relève jamais vraiment indemne dans l’opinion publique d’une telle accusation lorsqu’elle a été un tant soit peu relayée par les media. Ce genre d’accusation ne se profère pas à la légère. JUSTEMENT parce qu’elles sont si graves lorsqu’elles sont vraies.

Sur quoi se basent ces accusations, donc ? Ont-elles un minimum de tangibilité pour valoir être tant relayée par tant de gens ?

Sur un livre.

Là encore, on va la refaire, en gras : sur UN LIVRE. Qui n'a visiblement pas été lu, d'ailleurs, par la majorité de ceux qui s'en servent comme preuve à charge.

Je ne vais pas discourir à nouveau sur la liberté d’expression, je l’ai déjà fait récemment et vous inviterai simplement à relire l’article en question ici si besoin. Certes, ce livre est proche, très proche d’une autobiographie (FMitt le décrit comme « un récit », laissant élégamment planer l’ambiguïté sur les passages réellement tirés de sa vie et ceux qui ont été inventés par le romancier. C'est d'ailleurs cette élégance qui avait plu à la critique, à l'époque, comme le montre bien cet article du nouvel obs de 2005). Mais quand bien même ce livre en serait une, et même si tout ce qu’il y avait dans ce livre était vrai, à aucun moment FMitt ne parle de gosses ou de pédophilie. Oui, il appelle les hommes des « garçons ». En même temps ça fait trente ans qu’il le fait, en public, indépendamment de l’âge de son locuteur. De la même manière, je n’aime pas le mot « femme » et emploie toujours « fille » pour les personnes de sexe féminin, et j’espère bien ne jamais aller en prison pour ça.

Mais surtout, pour toute personne prenant le temps de, soyons fous, LIRE le passage en question (c’est dingue hein, mais un livre c’est fait pour être lu. Oui je sais, c’est plus dur que la télé et les pensées préfabriquées, mais c’est faisable) se rendrait compte immédiatement qu’il n’y a aucune ambiguïté sur la majorité du jeune escort boy dont le narrateur de « La Mauvaise Vie » s’offre les services dans le chapitre sur Bangkok. Pour les curieux, je vous invite à lire le passage en question, les journalistes de « Le Monde » (qui ont d’ailleurs écrit un éditorial très juste sur cette affaire sordide) ont eu la présence d’esprit de les mettre en ligne ici.

J’ai pu lire et entendre tout et n’importe quoi sur le sujet, allant du « les faits sont là » (sous-entendant que la pédophilie de FMitt est prouvée et avérée), aux milles variations sur le thème de « quand on va en Thaïlande c’est pour des mineurs » (et croyez bien que la prostitution infantile en Thaïlande, je connais bien le sujet, ayant donné du temps et de l’argent à l’association ECPAT il y a une dizaine d’années, association que je vous conseille si vous ne savez pas comment tenter de rendre ce système moins douloureux pour ceux qui ont à le subir) alors qu’en Thaïlande, la prostitution touche absolument toutes les tranches d’âges, et des deux sexes, en plus.

Mais ce qui est le plus choquant, c’est la méthode inverse appliquée à celle de Polanski. FMitt est un homme qui a écrit les aventures d’un homme s’offrant les services d’un escort-boy MAJEUR à Bangkok, a eu le courage de reconnaitre publiquement le fond de vérité de ce passage de ce LIVRE, et sous une accusation émise sans preuve, sans fondement, sans même un « faisceau d’éléments » poussant à croire que cela pourrait être vrai (genre s'il passait son temps à faire les sorties de collèges ou à assister à des match de foot inter-CM2).

Si tous les hommes (et femmes, yen a aussi) ayant profité de la prostitution en Thaïlande (ou ailleurs) étaient forcément des pédophiles, le problème déjà grave des prisons surpeuplées en France serait multiplié par dix. Et penser que tous les hommes qui aiment les hommes sont forcément des pédophiles nous ramènerait aux heures sombres du Moyen Age (et encore !).

Cette affaire et tout le foin médiatique causé par tous ces moralisateurs persuadés d’avoir raison, intimement convaincu de la culpabilité de FMitt *sans avoir lu le livre* ni même avoir un peu cherché à connaître l’homme derrière l’accusation me font tristement penser à Outreau où à d’autres affaires où, le sujet étant grave, voire tabou, on condamne sans vérifier, sans être sûr, juste pour satisfaire la morale ou l’opinion publique, ou se faire mousser comme un défenseur des bonnes mœurs.

J’ai mal, mal à la présomption d’innocence.

Le cynique en moi, convaincu de la pertinence des théories de synchronicité de C.G.Jung, a tendance à dire que FMitt paie avec cette atteinte à sa présomption d’innocence sa défense d’Hadopi 2, un texte qui malmène au moins aussi durement ce même principe. Mais même s’il est incompétent, et même si c’est un beau retour de justice poétique, nul homme ne mérite d’être accusé à tort de faits aussi grave que ceux qu’a, au hasard, commis Roman Polanski.

La boucle est bouclée.

La citation du jour : « Ca vaut le coup de pas être ok avec toi »
La chanson du jour : Le 20-04-2005, Katerine, « Putain Marine Le Pen nan nan mais Marine Le Pen nan mais tu le crois pas, tu le crois ça ? »

Même si je ne suis pas prêt de prendre des vacances, la vie est belle !

Libellés : , , , , , , , ,