***Article(s) en date du 14.2.10***

Défendre l'indéfendable

Fidèle lecteur, jolie lectrice, tu vas encore dire que je radote ou que je commence à te gonfler avec ma sacrosainte liberté d’expression, mais bon, vois les choses du bon côté, en ce 14 février la majorité des blogs et des réseaux sociaux va être saturée de messages de Saint Pognon Valentin, donc au moins sur Tears of the Night tu vas y échapper.

Aujourd’hui est un jour sombre. Et non, pas seulement parce que je me suis réveillé seul dans un lit froid. Mais parce que je me suis levé avec une nouvelle provenant d’Outre Atlantique qui m’a mis, littéralement, les larmes aux yeux. Cette semaine, aux Etats Unis, dans la contrée de la liberté d’expression, un homme a été mis en prison pour possession de manga, et je n’arrive toujours pas à l’admettre. Je serais tout autant outré si cela arrivait en France, mais moins « choqué » puisqu’après tout, en France, non seulement cela pourrait arriver (et cela arrive peut être, mais on n’en parle pas, c’est tabou) mais en plus j'ai découvert en faisant des recherches pour l'écriture de cet article que la loi prévoit verbatim que cela puisse arriver (article 227-23 du code pénal, donc, le mot important de la première phrase étant "représentation") (car bien évidemment, la raison pour laquelle monsieur Handley se retrouve en prison est que certains de ces manga mettaient en scène des dessins sexuels avec des animaux animaux, et d’autres des dessins sexuels avec des enfants, il n’a pas été mis en prison parce qu’il collectionnait Naruto ou Dragonball, hein). J’en avais déjà parlé dans mon article précédent sur le sujet, mais on oublie trop vite que la liberté d’expression n’est PAS un droit total en France ou en Europe. Alors que c’est censé être le cas dans l’autre nation avec un drapeau rouge, blanc et bleu (avec des étoiles).

J’apprends cette nouvelle en plein milieu d’un article sur la Loppsi que j’étais en train de vous écrire, clamant combien cette loi était encore plus inacceptable qu’Hadopi, combien on pouvait faire voter n’importe quoi en le masquant derrière un voile de « moralité », et combien l’opinion publique pouvait être naïve. En effet, dans la rue, vous trouverez beaucoup plus de gens approuvant sur le principe le blocage de sites pédopornographiques que de gens approuvant les lettres recommandées envoyées aux voleurs de musique. Et pourtant c’est pire : non seulement cela « renforce » les systèmes de cryptage des vrais cyber criminels qui abusent de pauvres gosses, non seulement l’expérience allemande en a prouvé l’inefficacité, non seulement cela entraine des dommages collatéraux comme l’anecdote célèbre des Scorpions et de Wikipedia, mais surtout c’est une mesure poudre aux yeux dont la seule conséquence sera de rendre ces crimes moins visibles et identifiables par les gens qui les combattent VRAIMENT (vous savez, la police, tout ça…) avec un impact réel stupide. Croire que retirer les sites vitrine pédopornographiques sur Internet va protéger les gosses victimes de tels abus, c’est un peu croire que la guerre s’arrête dans le monde quand on n'en voit pas les images au journal télé.

Bref, la Loppsi, il y a beaucoup à en dire, mais je m’arrêterai là sur le détail (au pire vous avez le net si le sujet vous intéresse, sinon vous ne seriez pas en train de me lire) mais surtout parce que l’affaire Handley illustre à merveille ce point de vue. Alors où se situe la moralité, et pourquoi est-il essentiel de se battre pour les droits de telles personnes ? La réponse a déjà été écrite, de manière bien plus complète et éloquente que ce que je n’aurais pu le faire, il y a des mois déjà au début de cette affaire par le célèbre écrivain britannique vivant aux Etats Unis, icône de la contreculture, Neil Gaiman, sur son blog. Je vous invite à lire son article très pertinent sur le sujet. Pour ceux d’entre vous qui ne sont pas anglophones, je me permet d’en proposer ici une traduction intégrale en français. Le but n’est en aucun cas de remettre son droit d’auteur en cause mais simplement de rendre accessible à un plus grand nombre cette démonstration brillante du caractère essentiel de la défense de l’indéfendable au nom de la liberté d’expression.

*****

Pourquoi défendre la liberté d’expression dégueulasse?

Ce message va être un peu long, et je m’en excuse. Je voulais parler d’autres choses, mais j’ai commence à écrire une réponse à la lettre ci-dessous ce matin et je me suis laissé emporter.

« J’ai des questions au sujet du cas Handley. En quoi est-ce que le lolicon est une cause qui mérite d’être défendue ? Le Yaoi, tel que je le comprends, n’implique pas forcément de la pédophilie, mais le but du lolicon est bien de sexualiser des filles pré pubères, non ? Et n’y a t’il pas eu des tonnes d’études psychologiques sérieuses pour avancer que si une personne trouve une communauté de soutien pour un fetish, une croyance ou un comportement, il est plus probable qu’elle s’y adonne ? C’est pour ça que les mouvements sociaux sont si importants pour les groupes opprimés ou non conventionnels (ce qui englobe tout depuis la communauté fetish jusqu’au libertarisme de l’économie de marché) et pour cela aussi qu’un groupe comme NAMBLA peut être si effrayant (en gros, c’est un groupe de soutien pour les violeurs de bébés.)

Pour moi, la question est de savoir si le fait de sauver ne serait-ce qu’UN enfant d’un viol ou d’une tentative de viol, ou même d’un peu trop de câlins trop serrés du Bizarre Tonton Marcel, ne justifie t’il pas le fait de retirer une poignée de corps nus d’un comic book ? Après tout, il est absolument possible de sous-entendre ou de discuter de ces problèmes (par exemple si quelqu’un perd sa virginité à 14 ans et décide d’écrire un comic book là dessus) sans nécessairement mettre une bonne grosse image d’un boulet de 14 ans en train de se faire pénétrer en guise d’illustration. Je pense aussi qu’il y a un monde de différence entre l’histoire de Sandman qui illustre le viol d’une enfant comme la chose horrible qu’elle est (et si je ne m’abuse qui se termine avec une mort horrible pour le pervers) et le fait d’illustrer le viol d’enfants comme quelque chose de sexy et d’excitant. Je pense qu’il y a également une différence entre admettre la sexualité des enfants, et de la pornographie avec des enfants comme thème créée pour des adultes. Où se situe le lolicon dans cet éventail de cas ? Et, là encore, pourquoi est-ce que vous, personnellement, pensez qu’il doit être défendu ?

Merci d’avoir lu ma tirade, et de nous être accessible, et engagé dans des causes comme le CBLDF. Je pense que c’est en grande partie une organisation fabuleuse, mais sur ce cas précis je suis vraiment tiraillée.

Jess »


Voyons si je peux soulager un peu ce tiraillement, Jess. J’ai bien peur que cela va être une réponse un peu longue, voire une tirade – un credo, et comment je suis arrivé à penser cela.

Si vous acceptez – comme moi – que la liberté d’expression est importante, alors il va vous falloir défendre l’indéfendable. Cela veut dire que vous allez devoir défendre le droit des gens de lire, ou d’écrire, ou de dire les choses que vous ne dites pas, ou n’aimez pas, ou ne voulez pas qu’on dise.

La Loi est une énorme massue qui ne fait pas et ne fera pas de distinctions entre ce que vous estimez acceptable et inacceptable. La Loi est ainsi faite.

Les gens qui créent de l’art découvrent où se trouvent les limites d’une expression libre en les dépassant et en ayant des problèmes.

LOST GIRLS, par Melinda Gebbie et Alan Moore est long de plusieurs centaines de pages. J’ai posté ici une critique complète que j’ai écrite pour Publishers Weekly (NdT : lien en anglais). Pour décrire Lost Girls j’ai dit :

« La frontière entre la pornographie et l’érotisme est ambiguë, et elle change en fonction de l’endroit où l’on se trouve. Pour certains, peut être, c’est une question de savoir ce qui vous excite (mon érotisme, votre pornographie), pour certains la distinction est un facteur de classe (c.-à-d. l’érotisme c’est de la pornographie pour les riches). Peut être qu’il y a également un facteur lié à sa distribution – la pornographie sur internet c’est forcément du porno, alors qu’une publication Edwardienne sur un papier couleur crème achetée par des connaisseurs et reliée en volumes hors de prix, c’est forcément de l’érotisme.

Et plus loin, spécifiquement sur Lost Girls, j’ai dit :

C’est le genre de porno qui n’aurait aucun mal à démontrer à un procureur zélé qu’il a une validité artistique indéniable dépassant largement son simple droit d’exister grâce au premier amendement. »

(Ce qui est le genre de choses qu’on écrit dans une critique en soupçonnant que son but réel, un jour ultérieur, soit de persuader un procureur que l’affaire est déjà perdue et que ça ne vaut pas la peine de s’embêter avec.)

Dans les nombreuses permutations de Lost Girls sur le thème de la sexualité, il y a un peu de contenu mettant en scène des personnages de fiction en dessous de l’âge actuel de la majorité sexuelle. Après tout, c’est une histoire dont le sujet est l’éveil de la sexualité, et nous sommes peu nombreux à s’éveiller à cela exactement le jour de notre dix-huitième anniversaire (ou autre en fonction de l’âge de la majorité sexuelle dans votre pays (NdT : quinze ans en France, article 227-25 du code pénal)). On finit per se retrouver à lire un livre dans le livre, une fantaisie à la Beardsley où les personnages de fiction discutent du fait qu’ils sont des lignes tracées sur le papier, des fantasmes métafictionnels, en s'adonnant à des rapports sexuels incestueux entre mineurs. C’est de l’art, et c’est génial, et c’est profondément problématique, et ça vous fait réfléchir sur la nature du porno et la nature de l’art, et sur là où se trouvent les limites.

La Loi est une grosse massue. Ce n’est pas un scalpel. C’est un gourdin. S’il y a quelque chose que vous estimez indéfendable, et qu’il y a quelque chose que vous estimez digne d’être défendu, et qu’une même loi a le pouvoir de les interdire tous les deux, alors vous allez être dans une position où vous allez défendre l’indéfendable.

Je suis né le jour du jugement du procès de Lady Chatterley en Angleterre, le jour où il a été décidé que L’amant de lady Chatterley, avec ses jurons, sa sodomie, et son sexe cru entre les classes sociales, était digne d’être publié et lu dans une édition bon marché que les pauvres et les serviteurs pourraient lire. Dans cette même Angleterre où, quelques années auparavant, le director of public prosecutions (NdT : un genre de Garde des Sceaux) avait menacé de poursuivre le Professeur F.R. Leavis s’il faisait ne serait-ce qu’une référence au Ulysse de James Joyce dans un cours magistral (le DPP en question était Archibald Bodkin, qui a également fait interdire Le puits de solitude), cette Angleterre où, alors que j’avais seize ans et que j’écoutais les Sex Pistols, l’éditeur de Gay News a été mis en prison pour le pour le crime de Blasphème Criminel, pour avoir publié un poème érotique contenant un fantasme sur Jésus.

Lorsque j’étais en train d’écrire Sandman, il y a dix-huit ans environ, j’ai pensé que le Marquis de Sade ferait un bon personnage pour mon histoire sur la Révolution Française (j’adorais le fait qu’à cette époque il était gros, asthmatique et en prison pour avoir refusé de condamner des gens à mort) et j’ai réalisé que je devrais lire ses livres plutôt que des études critiques si j’allais le mettre dans mon histoire. J’ai découvert que les œuvres de De Sade étaient, à l’époque, considérées comme obscènes et non-disponibles au Royaume Uni, et que les Douanes britanniques les avaient déclarées non-importables. Je les ai achetées chez Borders la fois suivante où j’ai été aux USA, et je les ai fait passer à la douane avec un air coupable (il est maintenant possible de commander De Sade au Royaume Uni. L’arrivée du porno sur internet au RU a eu comme conséquence que la police a cessé de courir après ce genre de choses.)

La première fois où je me suis impliqué dans une levée de fonds pour la liberté d’expression dans les comic books c’était fin 1983, début 1984 – Knockabout Comics était en plein dans l’une des batailles fréquentes les opposant aux Douanes britanniques sur ce qui pouvait et ne pouvait pas être importé au RU. Certains comics contenaient des gros mots, du sexe, ou l’usage de marijuana, et les Douanes britanniques saisissaient tout comic book auxquels ils s’opposaient, et souvent bien d’autres comics dans le même colis, forçant Knockabout à se battre dans de longues et onéreuses batailles judiciaires pour récupérer leurs comics. (Je me souviens de l’outrage lorsqu’en 1996 Knockabout a importé quelques livres de Robert Crumb pour illustrer un grand documentaire de BBC TV sur Crumb et que les Douanes britanniques ont confisqué les livres, créant une nouvelle affaire judiciaire. Je suis presque sûr qu’il s’agissait d’œuvres autobiographiques de Crumb contenant des dessins de fantasmes sexuels mettant des mineurs en scène. Comme Tony Bennett de Knockabout l’a dit dans une interview récente, « L’autre affaire était avec les Douanes de Sa Majesté en 1996 au sujet de comics de Robert Crumb et d’images sexuelles explicites. Nous avons également largement gagné ce procès, et les Douanes ont eu l’aimable obligeance de m’écrire après le procès pour m’envoyer une liste définissant quels actes sexuels pouvaient être montrés dans des comics. Je ne l’ai pas encadré, mais c’est un document très précieux. »)

La première fois que j’ai failli envoyer un éditeur en prison pour quelque chose que j’avais écrit était en 1986 ou 1987, dans Outrageous Tales From The Old Testament chez Knockabout (NdT : « Les Histoires Outrancières de l’Ancien Testament ») : j’avais réécrit une histoire du Livre des Juges contenant un viol et un meurtre, et l’affaire a été portée au tribunal pour contrevenir une loi Suédoise sur les représentations d’images de violence contre les femmes. L’affaire a été gagnée lorsque la défense a mis en avant que les mots étaient extraits de l’édition King James de la bible, et que les images étaient une juste représentation de cette scène…

(Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas le Livre des Juges par cœur, voici une version en ligne de la Bible et de la scène qui a causé le procès :

Pendant qu’ils étaient à se réjouir, voici, les hommes de la ville, gens pervers, entourèrent la maison, frappèrent à la porte, et dirent au vieillard, maître de la maison : Fais sortir l’homme qui est entré chez toi, pour que nous le connaissions. (NdT : la version anglaise de la Bible est encore plus explicite : « so we can have sex with him. »)

Le maître de la maison, se présentant à eux, leur dit : Non, mes frères, ne faites pas le mal, je vous prie ; puisque cet homme est entré dans ma maison, ne commettez pas cette infamie. Voici, j’ai une fille vierge, et cet homme a une concubine ; je vous les amènerai dehors ; vous les déshonorerez, et vous leur ferez ce qu’il vous plaira. Mais ne commettez pas sur cet homme une action aussi infâme.

Ces gens ne voulurent point l’écouter. Alors l’homme prit sa concubine, et la leur amena dehors. Ils la connurent, et ils abusèrent d’elle toute la nuit jusqu’au matin ; puis ils la renvoyèrent au lever de l’aurore. Vers le matin, cette femme alla tomber à l’entrée de la maison de l’homme chez qui était son mari, et elle resta là jusqu’au jour.

Et le matin, son mari se leva, ouvrit la porte de la maison, et sortit pour continuer son chemin. Mais voici, la femme, sa concubine, était étendue à l’entrée de la maison, les mains sur le seuil. Il lui dit : Lève-toi, et allons-nous-en. Elle ne répondit pas. Alors le mari la mit sur un âne, et partit pour aller dans sa demeure.

Arrivé chez lui, il prit un couteau, saisit sa concubine, et la coupa membre par membre en douze morceaux, qu’il envoya dans tout le territoire d’Israël.

)

Et dans chaque affaire que j’ai mentionné jusqu’à présent, il serait possible de réécrire la lettre de Jess ci-dessus, en expliquant que seuls les pervers voudraient avoir envie de lire Lady Chatterley, ou voir des images de femmes violées, ou de lire Lost Girls ou les œuvres de Robert Crumb, et en mentionnant que si ne serait-ce qu’une personne était sauvée d’un câlin d’un tonton bizarre ou, en effet, d’être violée en pleine rue, alors les interdire ou faire un procès à ceux qui les écrivent, les dessinent, les publient, les vendent, ou – maintenant – les possèdent, alors cela en vaut la peine. Parce que c’était exactement le point de vue des gens qui interdisaient ces livres ou empêchaient les gens de les lire. Ils pensaient faire quelque chose de bien. Ils pensaient défendre les autres gens contre quelque chose dont ils avaient besoin d’être protégés.

J’ai adoré venir m’installer aux USA en 1992, principalement parce que je suis tombé amoureux de l’idée que la liberté d’expression était une chose essentielle. J’en suis toujours convaincu. En dépit de tous leurs défauts, les USA ont la Liberté d’Expression. Le Premier Amendement déclare qu’on ne peut pas être arrêté pour dire des choses qui ne plaisent pas au gouvernement. Tu peux dire ce que tu veux, écrire ce que tu veux, et savoir que le remède contre quelqu’un qui dit ou qui écrit ou qui montre des choses qui t’offensent est de ne pas le lire, ou de t’exprimer contre. J’aime avoir le droit de lire quoi que ce soit pour m’en faire ma propre opinion.

(Il est bon de signaler qu’au Royaume Uni, par exemple, il n’y a pas de loi similaire, et qui même la Cour Européenne des Droits de l’Homme a statué qu’interférer avec la liberté d’expression était « nécessaire dans une société démocratique » afin de garantir les droits d’autrui « d’être protégé contre les insultes gratuites envers leurs croyances religieuses. »)

Alors lorsque Mike Diana a été mis en examen – et, en 1996, reconnu coupable – pour obscénité dans les comics de son magazine « Boiled Angel », et condamné à une tonne de choses, y compris (si ma mémoire est bonne) trois ans de prison avec sursis, une amende de trois mille dollars, l’interdiction d’être dans la même pièce que quiconque de moins de dix-huit ans, plus de mille heures de travaux d’intérêt général, et l’interdiction de dessiner quoi que ce soit que quiconque pourrait considérer obscène, avec ordre pour la police locale de faire régulièrement des descentes de contrôle à son domicile pendant 24 heures sans prévenir au préalable pour s’assurer que Mike n’était pas secrètement en train de produire de l’Art au petit matin… c’est là que j’ai décidé que je savais ce qui était Obscène : mettre des artistes en examen pour avoir des idées et tracer des lignes sur du papier. J’ai su qu’à partir de ce moment, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour soutenir le Comic Book Legal Defense Fund. Que j’aime ou non, que j’approuve ou non ce que faisait Mike Diana n’avait aucune importance. (Pour les curieux, je n’aimais pas les textes dans Boiled Angel, mais j’aimais bien les dessins, qui étaient très personnels et avaient une force crue. Et quelque part dans ma pile de magazines dans ma collection à la cave, j’ai Boiled Angel numéros 7 et 8, que j’ai lu à l’époque pour savoir ce qui était mis en examen, et pour lesquels je suppose que je pourrais maintenant être arrêté…)

La première fois que le CBLDF a agi pour défendre l’un de mes comics, c’était pour l’insert Death Talks About Life à la fin de DEATH : THE HIGH COST OF LIVING, dans lequel on voit Death mettre un préservatif autour d’une banane en expliquant comment ne pas tomber enceinte, malade, ou mort. La Chef de Police de (si ma mémoire est bonne) Jacksonville en Floride a ordonné à un magasin de comics de ne pas le vendre, parce qu’elle trouvait que c’était obscène et encourageait la sexualité des adolescents. Dans cette affaire, il aura suffi d’une lettre de Burton Joseph, le conseiller en droit du CBLDF, au Poste de Police de Jacksonville pour leur expliquer le concept du Premier Amendement (et, par implication, qu’il existait une organisation toute prête à défendre ce genre d’affaires) et ils se sont tus, partis la queue entre les jambes. (C’est en ça que consiste le plus gros de l’activité du CBLDF – des petites choses tranquilles qui mettent fin aux menaces de procès contre les magasins ou les créateurs.) Du point de vue de la Chef de Police, Death Talks About Life était obscène. Elle voulait le voir retiré des rayons. Elle voulait que les gens en soient protégés.

Dans cette histoire, il est évident que vous avez été exposée à du lolicon, et pas moi. Je ne sais pas si vous parlez d’expérience personnelle ici, et si personnellement vous avez été incitée à violer des enfants où à leur faire des câlins douteux en l’ayant sous les yeux. (Je suppose que ce n’est pas le cas. Je suppose que ce n’est pas le cas non plus pour Chris Handley et son énorme collection de manga. J’ai lu des livres affirmant qu’être exposé à du porno cause des viols, mais je n’ai vu aucune preuve statistique comme quoi le porno cause des viols – et au contraire il y a des gens qui affirment que le déclin du nombre de viol aux USA est peut être dû à la plus grande disponibilité du porno (NdT : lien en anglais). En toute honnêteté, je pense que c’est un faux problème vis à vis du Premier Amendement, et c’est un débat que je laisserai à d’autres.) Néanmoins, vous semblez vouloir interdire le lolicon, et mettre en examen ceux qui en possèdent, alors que moi non. Vous me demandez : En quoi mérite t’il d’être défendu ? et la seule réponse que j’ai à vous offrir c’est ceci : La liberté d’écrire, la liberté de lire, et la liberté de posséder des ouvrages qui méritent d’être défendus à vos yeux impliquent qu’il faut que vous soyez prête à défendre les ouvrages qui selon vous ne le méritent pas, et même des choses que vous trouvez terriblement de mauvais goût, parce que les lois sont de grosses massues qui ne font aucune différence entre ce que vous aimez et ce que vous n’aimez pas, parce que les parties civiles sont des êtres humains et qu’ils ont des rancœurs ou qu’ils se battent pour être réélus, et parce que l’obscénité de l’un sera l’art de l’autre.

Parce que si vous n’êtes pas prêt à défendre les choses que vous n’aimez pas, lorsqu’ils viendront attaquer les choses que vous aimez, vous aurez déjà perdu.

Le CBLDF défendra votre droit du Premier Amendement en tant qu’adulte de tracer des lignes sur le papier, de dessiner, d’écrire, de vendre, de publier, et maintenant de posséder des comics. Et c’est pour cela que le genre d’ouvrage que vous n’aimez pas, ou ne lisez pas, ou qui n’a aucune valeur artistique ou élément intéressant à vos yeux, est une cause qui mérite d’être défendue. Parce que ce sont les même lois qui régissent ce que vous aimez et ce que vous trouvez répugnant, indépendamment de la limite où se trouve votre frontière de ce qui est répugnant : la loi est une grosse massue qui ne fait pas de travail de précision, et parce qu’on ne réalise combien la liberté d’expression absolue est merveilleuse que le jour où on la perd.

(Et pour que ce soit clair, je pense que la pédopornographie et l’exploitation d’enfants réels pour du porno ou du sexe est quelque chose de fondamentalement mauvais et intolérable, parce que de véritables enfants sont directement blessés. Tout comme je pense que mettre deux adolescents de 16 et 17 ans en examen pour « pédopornographie » sous le prétexte qu’ils ont pris des photos sexuelles d’eux même et se les ont envoyés alors qu’ils avaient légalement le droit de faire l’amour (NdT : lien en anglais) est complètement, totalement idiot, et un bel exemple de la loi en tant que massue.)

*****

Tout est dit.

La citation du jour : "En même temps ... lire des mangas ... fallait s'y attendre quoi !"
La chanson du jour : J'ai tellement de choses à dire, Michel Polnareff, "J'avais pour tout bagage des mots et des images. J'ai eu peur, Dieu me garde, qu'on garde mon âme à la douane"

Même si on a de plus en plus le devoir d'en dire de moins en moins, la vie est belle!

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