***Article(s) en date du 19.6.05***

Etude de texte : Au placard, Sartre

Il y a plusieurs mois, je vous avais fait découvrir ou re-découvrir pour certains un des grands penseurs de la philosophie française, en la personne de Pierre Bachelet. Force est de constater que depuis, outre mes régulières fiches de lecture, je ne vous ai pas aidé à y voir plus clair dans les autres monuments de la chanson engagée. Voici donc une nouvelle étude de texte détaillée. Aujourd'hui c'est tout un courant philosophique intense que je vais essayer de vous présenter. Cette personnalité qui a pris la France par surprise principalement depuis le début des années 50. Je ne parle pas de ce coco de Sartre, mais bien évidemment de l'inénarrable Annie Cordy.

Née Léonie Cooreman, tout le monde ou presque a déjà entendu ou fredonné les chansons populaires que sont "La bonne du curé" ou "Tata Yoyo". Mais Annie Cordy, ce n'est pas simplement une énergie fulgurante et un humour décapant. Il serait aisé de soliloquer sur le léger "Chaud Cacao", mais nous sommes ici pour mettre en avant des réflexions plus profondes et élevées, et je sais que si je commentais de manière désinvolte "Chaud Cacao, chaud chaud chaud chocolat" toi, brilllant lecteur, sensuelle lectrice, tu ne me le pardonnerais pas. J'ai donc choisi de vous présenter une facette méconnue d'Annie Cordy. Annie Cordy penseuse. Annie Cordy philosophe. Nous allons étudier ensemble l'une de ses chansons les plus engagées, les plus sérieuses, et les plus profondes. Je ne surprendrai personne en avaouant que cette chanson est ma favorite de l'artiste. Nous attaquons aujourd'hui un sujet grave. Les fans d'Annie l'auront compris, je veux bien évidemment parler de son opus, "Cot Cot Coin Coin".


Un jour que c'était le matin,

Nous l'avions déjà vu avec Bachelet, il est toujours important dans une chanson a vocation sérieuse de placer le décor, d'offrir à son public analyste un référent commun afin de délimiter avec précision les bornes limitatives de la pensée discursive. Ici, nous comprenons aisément que la scène se passe en matinée, et que le jour précis, ou la saison, sont secondaires : nous sommes en face d'une tranche de vie inaltérable et universelle.

Maman poule sur son tas de foin
Apprenait à ses petits poussins
À faire des cris de poule près du bassin.

La valeur de l'éducation. Voici un élément important de la pensée Cordyenne. Toujours d'actualité, sous des apparences légères, ça dénonce grave. Ca balance sec, madame. On parle des problèmes de société et du désavoeu des parents dans leur rôle éducatif... Ici, la morale est claire : même les poules s'occupent de la bonne éducation de leurs enfants. Le message d'Annie ? "Prenez en de la graine". Ce qui, pour une poule, est doublement bien pensé.

Un petit canard noir et blanc
Qui avait perdu ses parents,

La dimension tragique de la chanson apparait ici avec l'introduction de l'un des protagonistes principaux de l'allégorie. Un canard orphelin, aux couleurs différentes des poules traditionnelles wallonnes. On comprends bien ici le parallèle qui peut être tiré avec tous les gens, jeunes ou vieux, qui sont perçus comme différents par la société ou l'être humain lambda, quelle que soit son origine.

Voyant tous les poussins imiter leur maman
Essayait de faire cot cot tout en pleurant.

La détresse et la solitude du canard le pousse à sans cesse faire des efforts d'intégration... Il voit bien qu'il est différent des autres, en extérieur, mais cherche à montrer que lui aussi a un coeur, et qu'il est prêt à faire des efforts pour s'intégrer, même au prix d'une perte d'identité (il est en effet important de noter pour les lecteurs non-biologistes qu'un canard est physiologiquement incapable de faire "cot cot" de manière naturelle et sans intervention extérieure).

(Refrain)
Cot cot cot cot cot cot cot cot Faisait la maman poule.
Cotcot cotcot cotcot cotcot Faisaient les poussins poules.
Coin coin coin coin coin coin coin coin Faisait le petit canard.
Quand on est fière d'être une poule
On fait cot cot et pas coin coin !

Retour à la dénonciation. Le canard est rejeté de la nacelle familiale incarnée par la poule et les poussins. Mme Cordy met en avant l'un des maux les plus effarants de notre société, la fierté déplacée, qui aveugle le coeur des hommes et fait naître l'intolérence... Nous ne parlons pas ici d'élitisme (qui est comme vous le savez une valeur à laquelle je tiens) mais bien du rejet aveugle d'autrui simplement pour son apparence ou sa coutume (représentée ici par le coin coin). Le couple poule/poussins est une allégorie visant à dénoncer le racisme racial et religieux.

Le petit canard seul dans son coin
Pleurait devant tous les poussins
Qui se moquaient de lui en lui jetant du grain.
Hou huu hou ! Ce poussin est vilain !

Nous avons ici une étude émotionnelle et détaillée des troubles affectifs du canard. Rejeté par son apparence, par sa différence, il ne sait pas encore comment se défendre face à l'agressivité de la société de consommation moderne représentée avec brio par les poussins. En demi-teintes, nous voyons aussi une critique à peine voilée de l'artiste envers le gaspi des sociétés modernes, n'hésitant pas à jeter du grain à la tête du canard alors qu'il y a encore des gens qui meurent de faim dans le monde.

Je suis tout noir et je ne vous ressemble pas.
Je voudrais bien chanter comme vous les gars
Mais je suis coin-coincé et je ne comprends pas
Pourquoi copains, j'y arrive pas ?
(Au refrain)

Réaction classique de l'être humain face au rejet de ses pairs : aveugle à l'étroitesse d'esprit d'autrui, il n'hésite pas une seule seconde à rejeter la faute sur son propre comportement ou sa nature. Il se trouve "coincé", et souffre de la détresse profonde de l'être qui a perdu tous ses repères.

Soudain un grand malheur arriva :
Un poussin dans le bassin tomba.
Au secours ! Au secours ! Mon fils va se noyer
Faite quelque chose ou je je vais me plumer???

Nouvelle critique voilée de la société moderne et du désavoeu des parents de leur rôle éducatif. L'un de ses enfants est en danger, mais maman poule est totalement décontenancée par la situation... elle cherche le salut dans la société qui l'entoure et qui l'a formatée, sans voir que très probablement il était tout à fait dans ses cordes de sauver son gosse. Mais là encore, inconsciemment, elle s'en fiche, et ne lèvera pas le petit doigt. A croire qu'elle préfèrerait qu'il crève. Tchulée.

Le petit canard sans hésiter (coin coin)
Plongea dans l'eau froide et glacée.
Il sauva le poussin et depuis ce jour-là
Toute la basse-cour en fête l'adopta.
(Tous avec moi)

Ici le canard démontre que l'être humain vertueux, face à l'adversité, n'hésite pas une seconde à mettre la main à la pâte et d'une manière très altruiste, s'élance au secours du sale mioche qui n'avait pourtant pas hésité à lui jeter du grain à la gueule il y a quelques strophes. Le canard est quelqu'un de fondamentalement bon. Je vous l'accorde, dans un sens, ici, il est aussi un peu fondamentalement con. Mais c'est souvent le cas dans les allégories alors n'y prêtons pas plus longuement attention. Remarquons cependant que cet acte altruiste a été le vecteur qui a permis à l'ensemble de la basse-cour d'intégrer le petit canard. Véritable message d'espoir, il aura fallu un danger de mort pour que la société ouvre les yeux pour accueillir et apprécier le petit canard.

Cot cot cot cot cot cot cot cot Faisait la maman poule.
Cotcot cotcot cotcot cotcot Viva le héros de la poule !
Coin coin coin coin coin coin coin coin Faisait le petit canard.
Et dans la ferme, on entendait
Chanter les poules et les poussins.
Cotcot cotcot cot cot cot cot cotcot (note : ce qui précède est cancanné sur l'air de la marseillaise)

Conclusion en apothéose... La ferme (et donc la société) est enfin unie sans racisme ni préjudice. A travers cette allégorie osée et qui dénonce, Mme Cordy nous encourage à accepter autrui et à abandonner toute forme de racisme ou de rejet de l'autre pour des considérations futiles. Nous apprécierons tout carticulièrement le tout dernier clin d'oeil. En cancannant la marseillaise, Annie Cordy nous démontre que dans un sens, elle aussi, belge d'origine, est peut être pour certains un petit canard au sein du public français qui l'a pourtant adoptée, et elle nous encourage a faire de même avec tous ceux que nous rencontrerons. C'est une adresse au public, manière de les remercier de leur amour et de leur fidélité.

Et en vous remerciant de la votre, je vous dis à bientôt.

La citation du jour : "hey, c'était pas plutôt 'je peux dégrafer' '-oui oui' ?"
La chanson du jour : I saw her standing there, The Beatles, "Well, she was just 17, You know what I mean, And the way she looked was way beyond compare. So how could I dance with another (ooh) And I saw her standin' there. Well she looked at me, and I, I could see That before too long I'd fall in love with her. "

Même si je ne pars pas en vacances, la vie est belle !

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