***Article(s) en date du 21.9.04***

Archives du vieux blog : Etude de texte : mieux que du Nietzsche

Je me suis dit qu'après quelques journées d'absence, il fallait que je me fasse pardonner. J'ai d'abord pensé que j'allais vous offrir à tous, lecteurs, lectrices, un voyage à Madagascar. Mais je me suis dit que vous trouveriez ça indigne de moi, je ne vous achete pas avec des cadeaux aussi peu important qu'un voyage au soleil. Non, vous qui venez ici, êtes avides de culture et je le sais.

Je me suis donc promis de vous offrir une porte ouverte sur l'un des plus grands penseurs de notre génération. Va ta coucher, Platon ! Au placard, Nietzsche et ton orthographe immémorisable. Non, je veux bien sûr parler de Pierre Bachelet. Aaaah, Pierre Bachelet. Les plus jeunes d'entre vous ne savent probablement même pas qui c'est, mais pour tous ceux qui ne vivaient pas sur mars ou dans les gonades de leurs parents au début des années 80, vous voyez de qui je parle. Bachelet, c'est les corons, bien sûr, mais c'est surtout un champion toute catégorie de la chanson déprimante, la chanson tire-toi-une-balle, la vraie chanson qui finit mal comme dans les chansons des années 40, avec une musique des années 60, le tout publié dans les années 80. Donc, il y a 20 ans, il avait 30 ans de retard, donc 30 ans d'avance. En 2010, Bachelet, ce sera vachement tendance. La preuve, il chante "Born to be Wild" et "Highway to Hell" chez Cauet (véridique).

Mais Bachelet donc, c'est aussi et surtout un grand penseur. Oui je sais, c'est pas évident comme ça à première vue, mais c'est pour ça que je suis là. Etudions ensemble, je vous prie, la chanson qui est un peu le centre de son message philosophique (voire philologique, même) : "Pleure pas Boulou". Pleure pas Boulou est à Bachelet ce que "Ne me quitte pas" est à Brel, ou plutôt pour rencentrer, ce que "De l'inconvénient d'être né" est à Cioran. Pour simplifier la lecture, les paroles sont en gras, les commentaires en normal. C'est parti :

Y a deux enfants qui sont assis
Sur le bord d'un trottoir
Il est cinq heures et l'école est finie
Ils se racontent des histoires

Bachelet est avant tout soucieux du détail. Oui, il a un message a faire passer, mais on le fait pas dans le vent, bordel ! Il nous présente donc les deux protagonistes, deux gosses qui quittent les cours et qui papotent tous les deux le cul par terre. On ne précise pas si on est dans le neuf-trois, mais vu le vocabulaire qu'ils emploieront plus tard (c'est à dire des mots de plus d'une syllabe) on peut en douter. Mais Bachelet, en omettant la localisation précise, nous préviens déjà que cette chanson contient un message universel et non attaché à un endroit particulier. Pleure pas Boulou, c'est la mondialisation avant l'heure. Poursuivons.

Pour toi la vie dis-moi, c'est quoi dit le petit
Manger des glaces et caetera répond le grand

On entre de plein fouet dans le sujet. Le sens de la vie, rien que ça. A travers sa réponse désinvolte, le grand nous montre que la vie, c'est avant tout les plaisirs simples. Poursuivons encore :

Moi j'aime les glaces mais j'aime pas trop les caetara
J'préfère cent fois le chocolat

Humour ! Grand trait d'humour ! Incapable d'avouer à l'autre qu'il n'a pas compris la tournure latine (on est pas dans le neuf-trois, mais on est pas à la sortie de la Sorbonne non plus), le petit rétorque qu'il n'aime pas ce qu'il a pris pour une nourriture terrestre. A travers cette innocence, on voit que trop de gens préfère mentir pour ne pas se montrer plus faibles. Pourtant, l'ambiance de la chanson est plutôt guillerette jusque là. Connaissant Bachelet, on est en droit de se méfier, c'est anormal, on a fini le premier couplet et personne n'est mort ni n'a envie de se suicider. On ris donc de bon coeur, mais on se méfie quand même. Pierre enchaine avec le refrain :

La la la pleure pas boulou
La la la on changera tout

Là, on s'interroge. Pleurer ? Pourquoi pleurer ? Parce qu'il n'a pas de glace ? C'est un peu gros pour se retrouver en larmes... Alors pourquoi ce refrain ? A travers cette mécanique, Bachelet nous apprends que la vie, c'est aussi savoir se tenir sur ses gardes. Deuxième strophe :

Moi c'est mon père qu'est pas commode
Un verre de trop et c'est parti
J'passe la nuit derrière la commode
Les voisins appellent la police, à cause du bruit

ET VOILA ! On avait raison de se méfier. C'est parti, le grand déballage. Le grand avoue que son père est un gros alcoolo qui passe sa vie à le tabasser. Bienvenue dans le monde de Bachelet, ca y est, on est en plein dedans. Pour un peu qu'il finisse sa vie en taule le père, il n'y a qu'un pas.

Chez moi peut-être c'est plus sympa
Répond le p'tit évidemment

Naivement, mis en confiance par la vanne du petit du début, on se dit qu'il va rassurer son pote, le consoler, parce que lui va bien, après tout chez lui c'est sympa non ? Fi ! C'est bien mal connaitre le grand Pierre ! Le petit poursuit ainsi son explication du "c'est plus sympa" :

Mon vieux il est parti d'chez moi
Maman dit qu'il ne me manque pas
Moi j'aimerais qu'il soit encore là

PAF ! Forcément, son père s'est barré sans demander son reste, du coup il peut pas le tabasser. A se demander si Bachelet a compris les paroles de "Un homme heureux" de Sheller. Il enchaine sur un double refrain, et là on comprends mieux pourquoi il pleure, c'te gosse :

La la la pleure pas boulou
La la la on changera tout
La la la pleure pas boulou
La la la on changera tout

Tu sais ma mère elle a toujours
Les larmes aux yeux
Y a des jours où j'voudrais comprendre


On aurait pu croire qu'avec le père parti, la mère pourrait garder un visage solide pour la psychologie grandissante du gamin, mais non, elle chiale tout le temps. Et là, le grand (qui, vu qu'il est grand, en connais plus sur le sens de la vie, cf plus haut avec les glaces) lui réponds et tente de lui expliquer :

Tu sais les vieux ça les rend
Dingue d'être des vieux
J'vais t'expliquer tu vas comprendre

Outre le fait que Bachelet accuse tous les adultes de vieux (bah vi le père qui tabasse et la mère qui chialent doivent avoir quoi ? A peine la trentaine ?), il nous met la puce à l'oreille, car ce qui suit va être le condensé du message de la chanson... J'y reviendrai plus bas, alors on enchaine de suite avec le refrain (le même que d'hab, Boulou continue de chialer au grand dam de Pierre) et le dernier couplet :

Plus on est grand et plus c'est pire
Moins c'est marrant
Moins on est gai et moins
Qu'on s'marre évidemment
Moins qu'on est p'tit et plus c'est moins
Qu'on est pas grand
Et c'est pour ça qu'elle est si triste et puis voilà
La la la pleure pas boulou
La la la on changera tout
La la la pleure pas boulou
La la la on changera tout

Salut petit il faut que j'rentre dit le plus grand
Reste avec moi encore un peu dit le petit
Il faut qu'j'attende encore dehors un bon moment
Ma mère ne rentre que vers les huit heures et demi


Voilà, on s'approche de la fin de la chanson, et consciencieux de ne pas abandonner son cadre sous prétexte que le message important a été dévoilé, Bachelet met un terme à la chanson en rangeant ses personnages et en introduisant une fin : le grand doit rentrer (se faire tabasser, probablement), le petit aimerait bien qu'il reste un peu parce qu'en fait sa mère (celle qui chiale) rentre tard du boulot. L'histoire ne dit pas si c'est une dame de compagnie pour qu'elle travaille si tard. Mais bon, on a eu droit au sens de la vie, Bachelet pourrait finir là non ? NON. Là, il nous achève avec la fin de cette strophe avant le dernier refrain :

Y a deux enfants qui sont assis
Sur le bord d'un trottoir
Il y a un grand et un petit à côté d'lui
Adieu p'tit mec
A demain si t'es encore là
La la la pleure pas boulou
La la la on changera tout
La la la pleure pas boulou
La la la on changera tout
La la la pleure pas boulou
La la la on changera tout
La la la pleure pas boulou
La la la on changera tout

A demain, SI TU ES ENCORE LA ! Là, même Dickens est un petit joueur, non seulement les povgoss s'en prennent plein la gueule, mais notre Bachelet national sous entends de plus que l'un d'eux va certainement pas passer la nuit. Chanson gaie donc, sous le signe de la joie de vivre.

Mais comme promis, revenons sur *LA* phrase de la chanson, *LE* morceau inoubliable, en bref, le condensé Bachelésien du sens de la vie :

Plus on est grand et plus c'est pire
Moins c'est marrant
Moins on est gai et moins
Qu'on s'marre évidemment
Moins qu'on est p'tit et plus c'est moins
Qu'on est pas grand
Et c'est pour ça qu'elle est si triste et puis voilà

Incroyable, mais vrai. Décortiquons :

Plus on est grand et plus c'est pire
Moins c'est marrant

On commence par une banalité, plus tu vieillis, plus tu vas en chier. Bachelet avait-il prévu le problème des retraites mieux que les socialistes au pouvoir à l'époque ? Ca se corse :

Moins on est gai et moins
Qu'on s'marre évidemment

Evidemment, comme il le dit. On se marre en général quand on est gai, a moins d'être un cynique comme Thibaud "Kobal", et donc moins on l'est, moins on se marre. Mais c'est surtout la fin de cette strophe qui est fabuleuse :

Moins qu'on est p'tit et plus c'est moins
Qu'on est pas grand
Et c'est pour ça qu'elle est si triste et puis voilà

Moins qu'on est petit = Plus on est grand
Plus c'est moins = Moins on est
On est pas grand = On est petit

La phrase peut donc être résumée pour les esprits simples par : "Plus on est grand, moins on est petit, et c'est pour ça qu'elle est si triste". Voilà, le sens de la vie made in Bachelet, être grand, c'est l'inverse d'être petit. En plus l'autre grognasse, elle l'assume pas (elle était fan de Gildas et de Mimi Mathy ?), alors elle chiale toute la journée parce que les grands ne sont plus petit plutôt que de se trouver un meilleur job pour son povgoss. La salope, je suis sûr qu'elle était communiste.

;)

< EDIT : Corrigé le T par un D à Thibaud "Avec un D comme Damn it !" >

La citation du jour : "Mon lecteur aléatoire de MP3 vient d'enchainer Leonard Cohen après Pierre Bachelet. C'est qui le DJ ?"
La chanson du jour : Friday on my mind, Easybeats, "Monday I have friday on my mind"

Même si Bachelet semble vouloir nous convaincre du contraire, la vie est belle !

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